ROGER CONSTANTIN "Extrait chapitre 9"

 

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       II était bonnement treize heures lorsqu’elle décidait de reprendre la route. 

Vivian l’ayant entendu parler de la fête, me demandait pour pouvoir l’accompagner.  Je lui refusais cette possibilité en lui faisant comprendre que je ne pourrais pas conduire jusque là étant donné l’état de mon bras.

Il ronchonna et alla se réfugier dans le salon tout en pleurnichant.  Cindy n’apprécia pas son caprice et lui fit entendre :

« Tu  te vois avec ton air bougon et capricieux ! Je ne suis pas contente sur toi. Tu n’aurais pas râlé, je t’aurais bien pris avec et même te ramener ce soir.  Maintenant, il est trop tard, je te laisse continuer à bouder dans ton coin. »

J’acquiesçais à sa réaction somme toute logique mais en prenant la défense de Vivian sur un point :

« Je sais qu’il ne doit pas agir ainsi mais il est déçu de ne pas voir les loulous, cela fait si longtemps. »

Elle ajoutait :

« Avec mes enfants, c’est pareil.  Je n’agis jamais sous leur pression.  Mais si tu veux, venez le week-end prochain, c’est la fête dans mon village. »

Je lui répondis que c’était envisageable et que nous nous arrangerions par téléphone durant la semaine.

Je la raccompagnais jusqu’à sa voiture sur le parking et nous parlions de nous. Elle me redit qu’elle n’était pas prête maintenant pour envisager une relation plus sérieuse, qu’il nous fallait encore, chacun de notre côté, le temps de fermer les portes du passé.   Mais qui sait à l’avenir !

Cela laissait planer un doute quant à notre futur mais il avait l’avantage d’effacer le message qui m’avait rendu sombre la semaine dernière et dont elle évitait de me parler.

En quittant la maison, j’avais planqué mon cadeau de Turquie dans mon écharpe et je lui donnais avant que nous nous séparions :

« Tiens, il est quand même temps que je donne ce petit cadeau.  Cela fait juste un mois qu’il t’attend. »

 Elle le prit, me remercia mais ne le déballa point devant moi.

 

Nous nous étions pris par la taille et nous nous serrions l’un contre l’autre.  Nos regards à nouveau complice se croisaient et je recevais encore une fois des ondes me flashant, l’espace d’une seconde, au plus profond de mon être.

Je n’osais pas lui demander si elle avait déjà reçu la même réaction et encore moins lui parler des sensations qui m’amenaient à faire ces rêves surréalistes.

 

 

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« Guadeloupe 1957

 

         Sur la plage de sable noir de la Malendure, nous étions étendus, Cristina et moi.  Nous laissions sécher nos corps, côte à côte, sous le soleil étincelant, en ce bel après midi du premier dimanche de septembre car nous venions de nous baigner durant plus d’une heure  dans la douceur de la mer des Caraïbes.

Avant de savourer, à midi, le délicieux pique nique que nous avions emporté, nous profitions d’une heure de plongée sous-marine aux alentours de l’îlet pigeon en compagnie de notre moniteur Georges.  Il nous avait emmenés découvrir les coraux et nous aperçûmes quelques beaux spécimens de gorgones en forme d’éventails jaunes et de cerveaux de Neptune dont la splendeur de l’un d’entre eux fut rehaussée par la présence de deux hippocampes.  Nous avions également eu la chance de croiser des tortues marines. L’une d’elles fit plus d’un mètre de large. Il y eut même un chatoyant poisson perroquet aux teintes bien marquées de rose violacé, de vert et de bleu turquoise qui vint me taquiner la jambe droite.

L’endroit devenait, petit à petit, de plus en plus recherché pour la plongée car le commandant Jacques-Yves Cousteau, son équipe de «  La Calypso » et Louis Malle étaient venus tourner plusieurs séquences pour le film « Le monde du silence » qui sortit dans les salles de cinéma en 1956 et qui fut « Oscar du cinéma documentaire en 1957 ».   Ce film est  d’ailleurs encore, à l’heure actuelle, premier au box office avec près de cinq millions de spectateurs en France.

Il était déjà près de quinze heures lorsque nous décidions de reprendre le chemin de la villa par un petit sentier escarpé. Je voyais que le regard de Cristina affichait une mine triste et mélancolique et elle osait enfin me demander :

« Alors, ton départ en France est programmé maintenant? Quand me quittes-tu ? »

« Je pars ce jeudi douze. Mais nous aurons encore un peu de temps pour nous voir avant mon départ. » Lui dis-je.

C’était la dernière journée entière que nous passions ensemble.  En effet, demain elle reprit son travail à Saint-Claude comme employée dans la distillerie de mon père.  Il l’avait engagée dès la fin de ses études.

« De toute façon, la journée n’est pas finie.  Mes parents comptent bien sur ta présence ce soir pour la petite fête. Tu as bien pris ton sac et tes affaires pour te changer ? Et ne joue pas ta timide en t’éclipsant en douce comme à la fête pour mes dix-huit ans.»  Ajoutai-je.

« Je suis triste car se sera la première fois que je ne pourrais pas te souhaiter un bon anniversaire de vive voix le vingt-trois. »  Me lança-t-elle.

Je la pris dans mes bras et la serrai très fort pour la réconforter. Quelques larmes lui coulaient sur les joues, elle avait du mal à accepter cette longue séparation qui briserait quelque peu notre amitié.

 

Lorsque nous arrivions à la villa, mes parents, Laetitia et Jérôme s’affairaient dans les préparatifs de la réception.  Parmi les invités, il devait y avoir quelques amis de mon père et de ma mère, nos quelques voisins ainsi que mes meilleurs camarades de lycée.

Laetitia avait préparé des accras, petits beignets frits aux crevettes et à la morue pour accompagner le punch au rhum à l’apéritif et le calalou, soupe verte composée de gombos, de légumes et de chair de crabe qui serait servi comme entrée. Jérôme s’activait à allumer le barbecue où seraient grillées les langoustes accompagnées, de salades, de diverses sauces et de riz à la créole.  Quant à ma mère, passionnée de desserts, elle avait élaboré quelques petits gâteaux, une glace au lait de coco et son sorbet favori  à la mangue et aux fruits de la passion.

Josette, la plus proche de nos voisines était là également, elle s’occupa, avec l’aide de mon père, de dresser les tables.  A première vue, je comptai une trentaine de convives, nous y compris.  L’arrivée des invités étaient prévue à dix-huit heures.

J’allai prendre une douche et je décidai de me présenter dans ma tenue la plus sobre et la plus élégante pour cette fête en mon honneur : j’optai donc pour mon smoking, une chemise blanche et un nœud papillon de couleur bordeaux.

Alors que Cristina squattait la salle de bain pour se doucher et se changer, je donnais un petit coup de pouce à mon père pour préparer le punch.  Je l’accompagnais dans sa réserve où nous choisissions quelques bouteilles de rhum blanc pour la fin de soirée  et du vin pour le repas. 

Mon père me dit :

« Je veux que cette fête soit pour toi un grand moment avant ton départ. Alors, aujourd’hui, nous ouvrirons les plus belles bouteilles que je possède ici.  Que penses-tu de ce Nuits-Saint-Georges premier cru  «Les Vaucrains » de ton année de naissance 1937 à moins que tu ne pencherais pour ce Vosne-Romanée 1939 ? »

Ce fut une immense joie pour moi de recevoir cette attention suprême de sa part, car nous avions été malgré tout en discorde ces derniers mois, et tout en lui adressant un clin d’œil complice et empli de bonheur, j’optai pour le Nuits.  Pendant ce temps, Jérôme alluma les guirlandes et les flambeaux qui plongèrent le jardin et la terrasse dans une ambiance festive.

Alors que les premiers convives arrivèrent, Cristina sortit de la salle de bain et vint nous rejoindre.  Lorsqu’elle apparut dans la salle de séjour face à moi, je reçus un choc émotionnel et pour la première fois, je la fixai d’un regard énamouré au point d’en oublier notre pacte d’amitié.

Elle portait une tenue très sobre, une jupe mi-longue de couleur turquoise et un chemisier blanc, le décolleté ouvert n’était point provoquant mais laissait deviner aisément sa poitrine.   En outre, il mit encore plus sa longue chevelure noire en évidence.  Son maquillage parfait, ses yeux légèrement bleutés, lui accordait une allure tellement séduisante que je ne l’aurais jamais soupçonnée, elle qui d’habitude se présentait à moi toujours sous son air naturel.  Le tout, sans compter la parure complète de bijoux que ma mère lui avait prêtée pour l’occasion, lui donnant une attitude encore plus sophistiquée.  Collier, bracelet et boucles d’oreille en or blanc et saphir !   Jamais, je ne l’avais vu aussi merveilleuse et délicieuse.  De l’adolescente un peu garçonne de dix-huit ans qu’elle était restée, elle s’était métamorphosée en une jeune femme distinguée qui lui donnait vingt ans.

Lorsque je lui fis remarquer, elle me déclara simplement, alors que je devinais chez elle, un certain amour secret envers moi depuis des années :

« Je voulais simplement me montrer sur ma plus belle facette en ton honneur et que tu gardes une image de moi ancrée dans ta mémoire afin que tu ne m’oublies pas là-bas. »

Et je ne pouvais que lui répliquer :

« Cristina, je ne pourrais jamais t’oublier !  Tout ce qu’on a vécu ensemble est inestimable à mes yeux et restera chèrement gravé dans mon cœur. »

Elle eut bien du mal  à contenir les larmes qui lui coulèrent  lentement sous les fossettes de ses yeux et les miens firent pareils. Ce fut un instant d’émotion intense entre nous deux qui naviguait entre amitié et amour, mais il était trop tard pour moi de la nourrir de sentiments et peu être à regrets.

Elle me tendit un paquet cadeau :

«  Tiens !  Tant que nous sommes juste les deux dans cette pièce, je t’offre cette écharpe.  Je l’ai tricotée moi-même en pensant que tu aurais bien froid dans l’hiver parisien. »

Comme cet après midi, je la pris à nouveau par la taille dans mes bras, et l’amena très fort contre mon corps.  Ce fut presqu’un au revoir avant l’heure !

Tout le monde était enfin arrivé et se rassemblait sur la terrasse. 

Etant la star de la soirée, il me fallut bien offrir des accolades et des gestes de contentement à répétition envers tous.  Même si je jugeai cette attitude habituellement un peu trop obsolète et souvent hypocrite, aujourd’hui j’y pris  un plaisir malin et évident.

Soudain, alors que nous savourions tous le punch, mon père prit une cuillère et tapota sur son verre attirant le regard et le silence de l’assemblée :

« Chers amis, je voudrais lever un toast en l’honneur de Nicolas.  Maman et moi, sommes associés à tous tes amis ici présents pour te souhaiter avec une quinzaine de jours d’avance, un très heureux anniversaire.  Que tes vingt  ans, t’apporte tout le bonheur et la force dans ta nouvelle vie qui commence dès demain.  Nous te souhaitons tous également, réussite et prospérité dans tes études et ta carrière de journaliste stagiaire à Paris et pour t’aider là-bas, je te remets cette enveloppe en cadeau.  Et surtout, viens nous revoir aussi souvent que tu le désires.  Nous t’aimons. »

Tous applaudirent et Laetitia avait été mandatée par l’assistance pour faire un discours également :

«  Cher Nicolas !  Tout comme Jérôme, je ne suis qu’une employée créole ici.  Mais, nous avons l’estime de tous et de toi.  Tu as toujours su être gentil et généreux avec nous et avec tous ceux qui t’entourent.  En notre nom, et de tous tes amis ici présents, nous te souhaitons un joyeux anniversaire et bonne chance en France.  Pour te témoigner chacun notre amitié, nous t’offrons, ce petit cadeau. »

J’étais comblé et ému et je ne pus retenir mon émotion.  Mon entourage s’était cotisé pour m’offrir une montre « Rollex » dernier modèle et le chèque dans l’enveloppe de mon père m’octroyait un budget pour vivre confortablement au moins six mois dans l’hexagone.

Nous passions à table et la ripaille s’ensuivit.  Le Nuits-Saint-Georges était un délice, d’une bouche ample et généreuse aux arômes de fruits noirs et d’épices sans en oublier le bouquet intense.  Des bavardages en tous sens, nous n’en retinrent que les rires.  Le rhum après le repas coulait à flot.

La soirée se termina peu après minuit dans une ambiance très joviale et Cristina, habitant à quelques hectomètres de notre villa, fut la dernière à quitter la maison non sans me dire :

«  Prends bien soin de toi ! Tu me manqueras énormément ! »

Je l’accompagnais jusqu’à l’entrée de la propriété et la regardais partir avec une bonne pointe d’amertume dans le cœur.