ROGER CONSTANTIN "Extrait chapitre 6"

 

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 Guadeloupe 1959.

       J’étais sur la terrasse de la villa qui portait le nom de « Rosée des Iles ».   Elle était située à flanc de colline sur la commune de Bouillante, capitale de l’île pour l’éco-tourisme à l’époque actuelle,  et elle dominait la baie offrant une vue panoramique splendide sur la mer des Caraïbes et l’îlet pigeon.

Au premier plan, on avait vue sur le vaste jardin où d’innombrables plantes florales garnissaient les bordures des pelouses.  Certaines roses de porcelaine s’épanouissaient offrant à l’œil, des fleurs spectaculaires d’un rouge vif.

La villa, au toit de tuiles rouges et aux murs extérieurs peints en couleur terre de sienne, était assez imposante et construite sur deux étages. Au premier, il y avait un grand balcon terrasse couvrant toute la façade avant de la maison.

 

Et pourtant en ce vendredi 30 janvier, malgré l’endroit paradisiaque et la douceur du climat, il faisait vingt cinq degrés et le soleil flirtait avec quelques champs de nuages complaisants, j’étais dans une profonde déprime qui durait depuis le début de cette nouvelle année.

Je devais prendre des calmants et de l’imipramine, un des premiers médicaments antidépresseurs arrivé récemment en pharmacie. De plus, j’avais sombré, depuis une quinzaine de jours, dans l’alcoolisme le plus ravageur. Je buvais à longueur de journées une quantité impressionnante de rhum que je trouvais facilement dans la cave de mon père.

Mes parents s’inquiétèrent énormément pour moi et de mon état, ils en avaient compris la raison et le seul moyen de m’aider était de me garder sous étroite surveillance et de contrôler ma prise de médicaments.  Ils me reprochèrent bien ma boisson mais ils me laissaient faire, croyant peut-être à tort, que cela  m’enlèverait mes idées suicidaires mais aussi pour éviter mes crises de colère lorsqu’ils m’en empêchèrent.

Il n’était pas encore midi et j’avais déjà ingurgité une demi-bouteille de rhum depuis mon levé. 

Mon père était parti tôt ce matin au travail, il s’occupait de la gestion de plusieurs domaines de la région, qu’il s’agisse de plantations  de cannes à sucre, de bananes, d’ananas, de cacao et de café. Il était en effet directeur de sa propre société « la société Saint-Claude-Guadeloupe express ».  Il l’avait appelée ainsi, car à notre arrivée sur l’île, en automne mille 1940, nous avions d’abord habité durant six ans à Saint-Claude, une localité à quatorze kilomètres d’ici. Il avait repris les domaines appartenant à son oncle.  Sa société, en plus des plantations, possédait une distillerie pour la production de rhum. Pour la commercialisation, il travaillait sur les Antilles mais exportait la majorité de sa production principalement vers la France, bien qu’il eût quelques marchés sur la Suisse, l’Allemagne et la Belgique.

Ma mère était venue me trouver sur la terrasse :

« Tiens voilà le journal, Jérôme l’a apporté tout à l’heure.  Il est parti à Saint-Claude chercher du matériel de jardinage à la distillerie  et il va bientôt  revenir avec Laetitia.  Quant à moi, je suis obligée de m’absenter, j’avais oublié mon rendez-vous chez le médecin et je dois passer au bureau de ton père.  Je ne rentrerai que fin d’après midi. Tu resteras bien seul un petit quart d’heure ? »

Je lui répondis :

« Cela ira.  Je vais lire le journal puis ils seront bien vite là.  Tu n’as pas à t’inquiéter. »

Jérôme et Laetitia étaient un couple créole employé par mes parents.  Lui, s’occupait des jardins et de menus travaux de bricolage.  Quant à Laetitia, elle effectuait les tâches ménagères.

Mais Jérôme m’appelait au téléphone depuis un garage car nous étions dans les rares privés possédant une ligne téléphonique. Il avait des problèmes avec la boîte de vitesse et l’embrayage de la jeep.  La réparation allait durer plusieurs heures.

Je m’étais donc retrouvé seul pour un bon moment et j’allais profiter de cette  opportunité pour mettre mon plan à exécution.  Je fouillais dans la salle de bain, puis dans la cuisine sans rien trouver.  Je me demandais où ma mère pouvait bien planquer mes somnifères.

Après une heure de recherche, je les avais enfin en main. Elle les avait cachés dans un petit coffre à bijoux dans sa table de nuit.  Je pris une bouteille de rhum puis j’allais m’installer sur mon lit après avoir fermé la fenêtre et coincé la porte de ma chambre avec un meuble car on m’avait enlevé la clé de la serrure et on me l’avait caché.

J’avalais tous les somnifères présents dans les deux tubes et je buvais presque toute la bouteille de rhum en un seul trait.  Il ne me fallut que quelques minutes pour m’endormir puis sombrer dans le coma avant de m’éteindre.

 

Vers seize heures, Jérôme arrivait à la villa avec Laetitia.  Ils m’appelèrent et vinrent tambouriner à la porte de ma chambre.  Ils crièrent après moi dans le jardin. 

Jérôme était venu voir à ma fenêtre et il m avait aperçu inanimé sur le lit.  Il s’affolait et demandait de l’aide à son épouse.  Celle-ci avait pris le téléphone pour appeler le médecin.  Quant à Jérôme, il lui fallait beaucoup de force pour ouvrir la porte de la chambre. C’est Laetitia qui était la première près de moi, des larmes plein les yeux, car dès qu’elle eût franchi la porte de la chambre, elle avait compris que j’étais décédé.

Le médecin arrivait pratiquement en même temps que mes parents terriblement effrayés. Fux aussi avaient été prévenus, par l’employée de maison du drame qui se produisait.  Ils devenaient complètement abattus lorsque le docteur ne put que constater mon décès, il l’estima aux environs de quinze heures quinze. »

 

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Il était cinq heures du matin.  Je fis un bond sur mon lit en me réveillant en sursaut car j’avais la tête tout en sueur.  Des frissons me glaçaient le dos.  Il me fallut deux à trois minutes pour recouvrer mes esprits et me rendre compte que j’étais en Turquie en 2011.  Vivian dormait là  à côté paisiblement.  Et moi, j’avais beaucoup de mal à me rendormir.

Ce cauchemar était atroce et terrifiant à la fois tellement les détails furent précis.  Je n’avais jamais de ma vie entendu parler de Bouillante ni de l’îlet pigeon ni même de Saint-Claude.  Puis la précision de l’heure, du jour, de la date…

Au petit-déjeuner, j’avais pris l’ordinateur de Vivian pour faire une recherche sur internet.  Ces lieux existaient réellement et un détail me frappait.  Ce fut la distance séparant Bouillante de Saint-Claude, le kilométrage était exactement le même que dans mon rêve.  Cela m’intriguait encore plus qu’à mon réveil.

Quand Vivian vint me rejoindre à table, il me dit :

« Tu es déjà dans tes transactions boursières papa ? »