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On était le 8 août 2011. Un lundi qui s’annonçait banal comme la plupart des journées qui régissent la vie quotidienne de milliards de personnes sur cette planète.
Le temps non plus, d’ailleurs, n’était pas de la partie. Une petite vingtaine de degrés, dans un ciel où les nuages, entre gris clair et gris foncé, amorçant de temps à autre une ondée, jouaient à cache-cache avec un soleil guère généreux depuis quelques semaines.
Ma journée commençait donc de manière calme avec un brunch : ce que l’on peut définir, en hôtellerie, d’un mélange de petit-déjeuner et de repas de midi. Pour ma part, il s’agissait sans nul doute plutôt d’un petit-déjeuner tardif après une grasse matinée bien venue et surtout bien méritée.
Comme tous les lundis de cette saison estivale, ce jour avait pour moi un parfum de dimanche, d’une journée consacrée au repos et à la détente.
Mon travail dans la restauration avait été éprouvant durant ce dernier week-end. En plus de la clientèle habituelle, j’avais dû cuisiner, le samedi, pour un groupe d’une quarantaine de motards allemands originaires de la Rhénanie-du-Nord. Et le dimanche avait amené, aussi, son surplus de touristes grâce à une manifestation organisée par l’office du tourisme local.
Alors qu’en ce début d’après-midi où l’astre qui nous réchauffe pointait enfin le bout de son nez entre les nuages et quelques gouttes de pluie, je me promenais dans le jardin regardant par ci les parterres de rosiers légèrement envahis par les mauvaises herbes à cause du temps maussade de juillet et d’un autre côté le potager où les tomates étaient en train de mûrir lentement. Je fus soudainement surpris par un message de ma sœur sur mon portable :
« Salut frangin, Cindy devrait passer fin d’après-midi pour récupérer ma bague avant de partir en vacances demain. Peux-tu prévoir de la bolognaise pour un spaghetti si jamais elle mange à la maison. »
Sur le moment même, ce message ne me rendait pas des plus heureux. Cela m’annonçait un chambardement dans les plans que j’avais élaboré pour la journée et que je voyais pantouflarde à souhait avec un après-midi de flânerie et une soirée de canapé-télé.
Ah la bolognaise! Voilà bien ce qui me rechignait le plus. Ceci se traduisait par prendre la voiture pour aller au supermarché chercher les ingrédients nécessaires, avant d’entreprendre la préparation de la recette. Et, bien sûr, deux bonnes heures de liberté foutue pour aussi me retrouver dans la routine quotidienne des poêlons et des casseroles.
Mais ma décision était donc prise de m’y afférer au plus vite d’autant plus qu’un second message me confirmait la venue de Cindy.
Aussi, ma phase de découragement s’atténuait et je reprenais un air un peu plus guilleret en me disant que la soirée pouvait être agréable car j’avais déjà eu l’occasion de rencontrer Cindy à deux reprises par le passé.
Je gardais d’ailleurs un agréable souvenir de sa deuxième visite, un dimanche en janvier.
Si, lors de notre première rencontre quelques mois auparavant, celle-ci fut furtive et s’était limitée à de brèves présentations, sa venue l’hiver dernier m’avait permis d’apprécier son tempérament sympathique et sa bonne humeur.
Elle était venue seule et un peu à l’improviste après avoir déposé ses enfants, un garçon et une fille, chez ses ex beaux parents habitant à une vingtaine de kilomètres de notre village.
Alors que cette visite imprévue ne devait être qu’un simple bon moment de détente et de papotages en souvenir de vacances, ma sœur qui avait la mine réjouie de la revoir, de même que mon fils, la persuadait de rester pour le repas de midi. Ce qu’elle accepta.
Et les heures défilaient mais le matin même, nous avions programmé une sortie au cinéma en famille et avec les voisins.
Devant l’insistance de ma sœur, elle décida de nous y accompagner après avoir trouvé une astuce pour se libérer de ses obligations et de récupérer ses enfants chez leurs grands parents paternels.
Cette journée se termina dans un bistrot autour d’une amicale tournée après une bonne rigolade générale au cinéma et avec le sentiment de se revoir bientôt.
J’avais eu l’occasion de parler un peu avec elle et de faire connaissance avec son fils et sa fille. Son humour et la joie de vivre que je ressentais en elle m’avait enfoncé un regard très amitieux et affectueux dans ma mémoire.
Mais les belles paroles d’un soir au moment de se quitter n’étaient finalement que du vent. La promesse de se revoir bientôt partit bien vite comme la fumée d’un feu dans la cheminée.
Et les jours passèrent, puis les semaines, et son visage souriant quittait lentement ce que j’avais gravé au fond de ma mémoire.
Je ne pensais plus à elle et seul mon subconscient n’avait certainement pas oublié qu’elle existait.
Il était près de cinq heures et Sibilla rentrait de son travail. Ma sœur était de bonne humeur à savoir que Cindy serait bientôt là. Elle l’avait revue quelques semaines plus tôt de retour de Gaume où elle s’était rendue en compagnie de mes parents, sa filleule et mon fils Vivian au mariage de notre cousine fin juin. Je n’avais pas pu y assister à cause de mon travail.
Elle avait profité de l’occasion, comme Cindy habitait sur le trajet à mi chemin entre la Gaume et notre région, pour la contacter et lui rendre visite.
Et c’était cette entrevue, à la fête de l’école de ses enfants, qui expliquait la venue de son amie ce soir à Comblain afin qu’elle puisse reprendre une bague que Sibilla avait achetée un an auparavant à l’hôtel où elles s’étaient rencontrées.
Comme Cindy avait choisi de retourner cette année en vacances à Hurghada et au même endroit que l’année précédente, il lui était donc facile de pouvoir faire réparer ou échanger la bague de ma sœur dans une des boutiques de l’hôtel.
Une demi-heure plus tard, la cloche de la porte d’entrée résonnait énergiquement, ce qui provoquait les aboiements des trois yorkshires comme à l’accoutumée. Et c’est bien naturellement ma sœur qui s’empressait d’aller les accueillir. Cindy était en compagnie de ses enfants Wendy et Djessy mais aussi de son père qui les accompagnerait demain en Egypte.
Pendant ce temps des retrouvailles dans le hall d’entrée où mes parents s’étaient également rendus afin de réserver une réception encore plus chaleureuse à nos hôtes du jour, j’étais resté dans la salle de séjour.
Le souvenir ancré dans mon subconscient refaisait petit à petit surface dans ma mémoire et le fait de la voir apparaître devant moi dans quelques instants bouleversait un peu mon esprit.
Il était troublé et je me demandais quelle attitude adopter dès que j’apercevrais son visage dans l’entre-porte de la salle de séjour.
D’une manière faussement désintéressée et un peu timide vis-à-vis de la réaction que j’allais ressentir et lui montrer, je tournais la tête légèrement de coté en entendant ses pas se diriger vers moi. Cela me permettait d’obtenir quelques secondes de répit et pourtant la manœuvre était tellement maladroite. Ce semblant de surveiller la bolognaise qui mijotait et que je touillais maladroitement avec ma spatule, m’avait permis d’éviter son regard dès son entrée dans la pièce.
Elle avançait vers moi dans mon dos, je sentais bientôt son souffle dans ma nuque et dans le même temps un sentiment d’angoisse et de frisson m’envahissait. J’étais cloué sur place mais je parvins, dans un effort que je considérais irréfléchi, à me retourner vers elle.